Lever les paradoxes de l’épargne française

Lever les paradoxes de l’épargne française

L’épargne des Français est actuellement drainée par trois voies prépondérantes[1] :

· les comptes assurance-vie (pesant environ 1650 milliards d’euros),

· les différents livrets d’épargne et dépôts à vue (environ 1350 milliards d’euros),

· les titres en actions (environ 1250 milliards d’euros) hors épargne salariale,

· les plans d’épargne salariale de différentes entreprises (pesant environ 115 milliards d’euros).

Assurance-vie et livrets sont à l’origine du « paradoxe du fléchage ». L’épargne française est majoritairement investie sur des supports ne stimulant guère l’économie nationale, en dépit des carences bien connues de la France dans ce domaine, spécialement concernant les PME[2].

L’épargne salariale, quant à elle, présente des avantages reconnus, l’actionnariat salarié permettant notamment de rapprocher les objectifs des salariés et ceux de leur entreprise. Elle crée au passage un avantage fiscal pour les détenteurs d’un plan d’épargne entreprise qui peuvent y verser leur participation, voire des abondements de l’employeur pour les affranchir de l’impôt sur le revenu (art. 237 bis A et ter A du Code Général des impôts). En découle un second paradoxe d’accès à l’épargne. Les salariés de groupes de grande taille se trouvent ainsi mieux lotis, car ils tirent parti de cet avantage fiscal. Au contraire les professions libérales, petites entreprises, fonctionnaires, s’en trouvent dépourvus.

Le dernier paradoxe notable est lié à la gouvernance d’entreprise. Bien que le taux moyen d’épargne des Français avoisine les 15 % de leur revenu disponible, nos grandes entreprises sont majoritairement détenues par des capitaux étrangers.

Démocratiser l’accès à l’épargne salariale

Une première piste pour résorber ces paradoxes serait de démocratiser l’accès à l’épargne salariale. La création d’un Plan d’Épargne Populaire et Social (PEPS) ouvert à tout actif résident français, lui offrirait la possibilité d’y placer jusqu’à 1000 EUR par an sortant ainsi ce montant de son revenu annuel imposable à la condition de le conserver sur ce plan pendant au moins 5 ans, sauf cas classiques de déblocage anticipé (mariage, décès, achat résidence principale, etc…) L’intérêt pour le dispositif s’accroissant de façon corrélée au taux marginal d’imposition, cette disposition aurait le bénéfice collatéral de redonner du pouvoir d’achat — certes différé — aux classes moyennes. Juste détente de la pression fiscale dont elles constatent la hausse depuis plusieurs années. Pour réduire le déséquilibre évoqué plus haut entre les salariés dotés ou non d’un plan d’épargne entrepreneuriale (PEE), cette possibilité de déduction de 1000 EUR de l’assiette de l’impôt sur le revenu serait bien sûr à concurrence des placements d’intéressement/participation.

Revenons sur le souci du fléchage. À ce plan serait associé la création de plusieurs Fonds Commun de Placement par Secteur (FCPS) : industrie, banques, bâtiment & travaux publics, télécommunications, tourisme, nouvelles technologies… À chaque nouveau versement, le déposant pourrait opter pour le ou les FCPS de son choix. Ces fonds auraient la charge d’investir dans des entreprises cohérentes avec leur objet et ayant une activité significative sur le territoire européen. En capitaux dans des entreprises matures (80 %), en dette dans les PME et entreprises en développement (10 %). Étant donné que les supports d’assurance-vie contiennent 10 % de dette française, il conviendra de répliquer cette même proportion dans les FCPS pour conserver l’équilibre.

Renforcer la gouvernance d’entreprise

Sur le modèle des FCPE (entreprise), ces FCPS seraient pilotés par des Conseils de surveillance dont les membres seraient élus au sein des épargnants. Ils exerceraient les droits de vote, vraisemblablement doublés grâce à la stabilité de cet actionnariat, dans les différentes entreprises et renforceraient un contrôle national.

Une deuxième piste pour renforcer la gouvernance d’entreprise serait pour les entreprises de second rang de créer des fonds mutualistes. Actuellement ces groupes et ETI s’appuient peu sur l’actionnariat salarié, averse à la volatilité de leur cours de bourse. En mutualisant leur actionnariat salarié à plusieurs, ils bénéficieraient de ses avantages. Ils pourraient même envisager des augmentations de capital réservées aux salariés mutualisées. Ces opérations à cours décoté de 20 % restant malheureusement aujourd’hui l’apanage quasiment exclusif des grands groupes.

Éduquer aux enjeux du capital

La lente inversion de ces paradoxes n’est accessible que par un patient exercice de pédagogie, qui incombe aux chefs d’entreprises et aux responsables des corps intermédiaires. Jusqu’ici les premiers rechignent à partager une once de pouvoir, quand les seconds se complaisent dans le jeu des postures. L’incitation fiscale permettra-t-elle de lancer la machine ? Ce serait une forme d’interventionnisme plus moderne et plus habile, en remplacement de l’État actionnaire dont les limites se dessinent chaque année plus nettement.

[1]{C} Source : rapport de la Banque de France, 2015– T3 et rapport annuel 2015 de l’AFG {C}[2]{C} « La vallée de la mort du financement » a été largement documentée par différents organismes ou administrations

Les Echos.fr 02/02/17

Charles Keller / Ingénieur, syndicaliste, spécialiste épargne salariale

admin9926